Le CERN revient sur ses publications, ses actions et prépare son avenir

Le CERN revient sur ses publications, ses actions et prépare son avenir

La lumière au bout du tunnel

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Sébastien Gavois

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Sciences et espace

24/06/2021 9 minutes
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Le CERN revient sur ses publications, ses actions et prépare son avenir

En 2020, le CERN a installé pas moins de 40 tonnes de matériel informatique, exploité à pleine puissance l’ensemble des services et ressources de sa Grille de calcul mondiale, lancé une étude de faisabilité pour la construction d’un collisionneur de 100 km de long, entres autres. L’année a aussi été ponctuée d’importantes publications scientifiques.

Le CERN, ou Organisation européenne pour la recherche nucléaire, se présente comme « le plus grand laboratoire de recherche en physique des particules du monde ». Ses installations permettent aux scientifiques « de mener des recherches de physique fondamentale aux limites des connaissances pour comprendre la matière, l’Univers et son évolution ».

L’Organisation qui s’est installée en Suisse – un pays choisi « en grande partie pour sa neutralité, garde-fou contre le détournement des recherches à des fins militaires » – vient de publier son bilan de l’année passée. Comme pour tout le monde, elle a été marquée par la pandémie évidemment, mais aussi par le second arrêt technique long du Grand collisionneur de Hadron (LHC), son installation phare, durant toute l’année 2020.

Celui-ci fait pour rappel entrer en collision des faisceaux de protons à des niveaux d’énergie « jamais atteints dans des machines ». Les résultats sont ensuite « enregistrés par sept expériences (ALICE, ATLAS, CMS, LHCb, LHCf, MoEDAL et TOTEM) et bientôt par une nouvelle expérience, FASER [Forward Search Experiment, ndlr] » dont nous parlions récemment.

Les grandes dates des publications scientifiques

Malgré cette pause, 2020 était le théâtre de plusieurs annonces importantes. En effet, l’analyse des données collectées durant la phase d’exploitation (qui s’est mise en pause fin 2018) est toujours en cours et prend parfois des années avant de déboucher sur des publications scientifiques. En voici quelques-unes.

Le 14 février, le synchrotron CNAO « traite une pathologie cardiaque avec un faisceau de protons – une première mondiale ». Une semaine plus tard, « ALPHA annonce les premières mesures de certains effets quantiques dans l’antimatière, ouvrant la voie à de futures études de précision ».

Fin mai, les expériences LHC « présentent des résultats sur de nouvelles signatures du boson de Higgs, des hadrons exotiques comportant des quarks c et des pistes prometteuses pour la recherche d’une nouvelle physique ». En juillet, le LHCb « découvre un nouveau type de tétraquark ».

En août, nous avons eu la « désintégration du boson de Higgs en deux muons » et des « collisions de photons produisant des particules porteuses de la force faible ». En décembre, l’expérience ALICE « montre comment les collisions proton-proton au LHC peuvent révéler l’interaction forte entre les hadrons ». Dans les deux derniers cas sur les forces faible et forte, les travaux ouvrent la voie à de nouvelles hypothèses.

Réorganisation suite la pandémie de Covid-19

Pandémie oblige, le CERN s’est impliqué dans la crise sanitaire dès le mois de mars, avec la création d’un « groupe d’action chargé de recenser et de soutenir les contributions de l’Organisation à la lutte contre la pandémie de Covid-19 ». Les services de secours ont ainsi porté main forte aux ambulanciers français et suisses, des ingénieurs mettent au point le respirateur HEV, des modèles de masques imprimés en 3D sont publiés sous licence open hardware, etc.

Les mesures de confinement ont entrainé un changement important dans les habitudes : « tous systèmes confondus, les connexions de visioconférence ont quadruplé dès le mois de mars » ; le CERN n’est pas le seul dans ce cas de figure, l’éducation nationale en a fait les frais.

Autre changement dû à la pandémie : « une expansion significative de l’infrastructure LoRaWAN, nécessaire pour le déploiement des proximètres, des boîtiers conçus pour avertir les personnes quand elles sont trop proches physiquement et enregistrer ces contacts afin d’assurer un suivi en cas d’infection ».

Le CERN en quelques chiffres : côté humain et financier…

Le CERN regroupe 11 399 utilisateurs, dont 6 632 proviennent de ses États membres. L’Allemagne est en tête avec 1 185, le Royaume-Uni second à 875 et la France troisième à 795. Il y a aussi 3 071 « observateurs » externes : 1 839 des États-Unis, 1 021 de Russie et 211 du Japon. Au total, 10 nationalités rattachées à des instituts dans 76 pays se côtoient dans les installations.

Le CERN emploie 2 635 personnels, un chiffre stable depuis plusieurs années, dont 45,1 % sont des ingénieurs et physiciens de recherche appliquée, 31,9 % des techniciens et 17,8 des administrateurs et employés de bureau. Le reste regroupe des physiciens de recherche, des ouvriers et gens de métier.

Le total des dépenses l’Organisation est d’un peu plus d’un milliard d’euros pour l’année 2020 : 59,2 % pour le personnel, 38 % dans le matériel, 2 % « seulement » dans les énergies et eaux. Mais, détail important, le Grand collisionneur de Hadron était dans son second arrêt technique long. Enfin, il y a 0,8 % d’intérêt et charge financière.

… puis stockage et calculs sur les données 

Côté informatique, pas moins de « 40 tonnes de nouveau matériel ont été installées dans le Centre de calcul du CERN et 25 tonnes en ont été retirées ». Le CERN précise qu’il « fait régulièrement don de matériel informatique ne répondant plus à ses besoins en termes de rendement, mais néanmoins plus que suffisant pour des environnements moins exigeants ».

L’année dernière, 117 serveurs et 6 commutateurs réseau ont été donnés à l’Université du Fayoum en Égypte, tandis que 254 châssis de serveurs ont été donnés à l’expérience LHCb. De plus, « des équipements du Centre de données du CERN, qui étaient sur le point d’être désinstallés, ont été utilisés pour les projets Rosetta@Home et Folding@Home pour simuler le repliement des protéines ».

En 2020, le système de stockage EOS (EOS Open Storage) « a fourni 2,5 exaoctets de données de physique », mais ne permet pas de sauvegarder les données « hors ligne » ni de les archiver. Un nouveau projet sur bandes CTA (CERN Tape Archive) a été développé : « il servira pour l’enregistrement final des données d’EOS sur bandes. Les premiers déploiements sur CTA ont eu lieu en 2020 pour les expériences ALICE, ATLAS et CMS. Ils ont nécessité la migration de plus de 200 pétaoctets de données ».

Même si les détecteurs n’ont pas enregistré de données en 2020 (puisque l’accélérateur est en maintenance), « les quatre expériences LHC ont néanmoins continué à utiliser tous les services et ressources de la Grille WLCG [Grille de calcul mondiale pour le LHC, ndlr] à pleine capacité ».

Les niveaux de temps de processeur ont ainsi « atteint de nouveaux sommets » : « Le volume total de stockage utilisé dans le monde avoisinait un exaoctet, réparti à parts égales entre bandes magnétiques et disques ». « En 2020, la Grille WLCG a combiné les ressources informatiques d’environ un million de cœurs de processeurs », précise le CERN.

CERN 2020

L’explosion prévue du LH-LHC, la science ouverte avance

Et l’avenir s’annonce chargé : « les besoins informatiques prévisionnels pour le LHC à haute luminosité (HL-LHC) [qui devrait débuter mi-2027, ndlr] excèdent de très loin ceux prévus pour l’exploitation 3 », qui devrait débuter l’année prochaine. « Les besoins en capacité de stockage et de calcul seront supérieurs de plusieurs ordres de grandeur à ce que, à budget constant, les projections en termes de progrès technologiques permettent d’espérer ». Des partenariats sont donc mis en place.

La science ouverte continue au CERN avec, en 2020, la mise à disposition des « premiers échantillons de données à 13 TeV » d’ATLAS, tandis que CMS a « finalisé la publication des données proton-proton 2010-2011 et a publié de nouveaux échantillons de données de physique des ions lourds ».

Un collisionneur de 100 km à l’étude, le HL-LHC en ligne de mire

2020 était aussi l’occasion de lancer une « étude de faisabilité pour la construction au CERN d’un collisionneur de 100 km, ainsi que la présentation, à temps pour la prochaine mise à jour de la stratégie [dévoilée en 2006 et mise à jour une première fois en 2013, ndlr], de plans pour la construction et le financement du tunnel ». À titre de comparaison, le tunnel actuel ne mesure « que » 27 km. 

C’est une des étapes majeures de la mise à jour de la stratégie européenne pour la physique des particules par le Conseil du CERN. Elle met aussi « la pleine exploitation du LHC et du LHC à haute luminosité (HL-LHC) au cœur de la physique des particules européenne dans les années à venir ». De manière générale, Fabiola Gianotti (la directrice générale) se « félicite que le plan à moyen terme pour la période 2021-2025 prévoie les plans et les ressources nécessaires ».

Le déploiement du HL-LHC requiert de trouver des lignes de transmission d’alimentation électrique « innovantes », car les courants en jeu sont d’un autre monde : « Des lignes supraconductrices en diborure de magnésium sont développées pour transporter des intensités atteignant 100 000 ampères ». En 2020, un prototype a établi un nouveau record : « 54 000 ampères ont parcouru les 60 mètres de la ligne (27 000 dans chaque direction) ».

CERN 2020

Le CERN met les pieds dans le plat quantique

Enfin, l’Organisation s’intéresse depuis peu à la « deuxième révolution » quantique où elle compte bien occuper une place importante : « S’il n’est présent sur la scène des technologies quantiques que depuis une période relativement récente, le CERN présente néanmoins l’avantage extraordinaire de rassembler en un seul lieu un ensemble diversifié de compétences et de technologies nécessaires  à une approche pluridisciplinaire ».

Le programme est le suivant : « Au cours des trois prochaines années, CERN QTI évaluera l’impact potentiel des technologies quantiques sur le CERN et la physique des hautes énergies à l’horizon du projet LHC à haute luminosité, et au-delà […] Des objectifs concrets en matière de R&D ont été fixés dans les quatre principaux champs d’activité des technologies quantiques : informatique, détection et métrologie, communication, et enfin théorie ».

Pour rappel, la France aussi a décidé d’investir fortement dans la quantique, et d’entrainer avec elle l’Europe si possible.

Écrit par Sébastien Gavois

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Les grandes dates des publications scientifiques

Réorganisation suite la pandémie de Covid-19

Le CERN en quelques chiffres : côté humain et financier…

… puis stockage et calculs sur les données 

L’explosion prévue du LH-LHC, la science ouverte avance

Un collisionneur de 100 km à l’étude, le HL-LHC en ligne de mire

Le CERN met les pieds dans le plat quantique

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Commentaires (2)


Merci pour ce résumé très intéressant. Voyons ce que l’avenir apportera réellement. Le challenge technologique du LHC-HL est réellement impressionnant (comment gérer la gigantesque quantité de données produites).


100000 ampères… j’imagine que ça fait pas avec des éoliennes :francais:
Je serai curieux de voir si on peut retracer les découvertes fondamentales faites au CERN jusqu’à des innovations tangibles pour le commun des mortels. J’imagine que ça doit pas être facile à faire, retracer des publications scientifiques pas toujours disponibles en Open (merci SciHub), mais quand même, ça permettrait de mettre plus facilement en lumière l’intérêt de toute cette débauche de puissance, de calcul, de cerveaux…