Soutien au cloud français : le gouvernement met 667 millions d'euros sur la table

Soutien au cloud français : le gouvernement met 667 millions d’euros sur la table

Pendant que le HDH ira chez Bleu ?

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David Legrand

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02/11/2021 15 minutes
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Soutien au cloud français : le gouvernement met 667 millions d'euros sur la table

Nouvelle étape dans le déploiement de la stratégie cloud de l'état, l'annonce du « plan industriel de soutien à la filière cloud française [son], dernier pilier » avec à la clé un soutien financer à de nombreux projets et des objectifs d'ici à 2025. Mais comme le reste du plan, cela ne s'est pas vraiment passé sans accroc.

Le 17 mai dernier, le gouvernement dévoilait sa stratégie nationale pour le Cloud avec trois piliers. Le premier était le label Cloud de confiance, construit comme un complément à la qualification SecNumCloud pour offrir « un double niveau de sécurisation – juridique et technique – aux entreprises et administrations françaises ».

Vers un cloud de confiance (ou pas)

Depuis, il a surtout été question du cœur de cette annonce : la possibilité d'héberger des données sensibles sur des solutions étrangères sous licence, tant qu'elles respectent certaines règles. On en connait désormais la teneur, tout du moins dans leur version initiale qui fait actuellement l'objet d'un appel public à commentaire de l'ANSSI.

Orange et Thales, anciens alliés du cloud souverain de 2012, sont cette fois partis chacun de leur côté. Le premier avec Capgemini et Microsoft pour créer Bleu. Le second avec Google. On ne sait d'ailleurs pas si Capgemini restera ou non le prestataire exclusif de l'Ugap pour ce qui est de la fourniture de services cloud aux administrations.

Du côté du gouvernement, le choix était assumé : « Certains des services Cloud les plus performants au monde sont édités par des entreprises étrangères, notamment américaines. C’est pourquoi le label Cloud de confiance permettra de nouvelles combinaisons comme la création d’entreprises alliant actionnariat européen et technologies étrangères sous licence. Cette politique répond ainsi à un besoin clair : donner accès au meilleur niveau de service tout en garantissant un haut niveau de sécurité ». De quoi enflammer le secteur ces derniers mois.

De prises de positions tranchées en tribunes vantant le besoin de souveraineté et de soutien à ce secteur face aux grandes plateformes, tout a été dit. Nous y reviendrons d'ailleurs plus en détail dans notre troisième magazine, actuellement en cours de financement. Mais le gouvernement tient pour le moment sa ligne.

Il est pourtant conscient de l'enjeu, principalement dû aux nombreuses erreurs du passé qui semblent destinées à se reproduire, bien que sous une forme différente. Dans son annonce du jour, il est rappelé que « la France, avec un marché du cloud de plus de 10 milliards d’euros, fait figure de troisième marché européen, après le Royaume-Uni et l’Allemagne. Bien que les leaders du marché soient américains, la France dispose de plusieurs acteurs importants positionnés sur des offres d’infrastructures et de plateformes ».

« Ainsi, là où Amazon, Google et Microsoft occupent les 3 premières places sur les autres marchés nationaux européens, OVHcloud avec 10% du marché français est troisième et Orange quatrième, relayant Google à la cinquième place. Seuls 35% des grands groupes français ont recours à des services de fournisseurs cloud français ». Raison de plus pour éviter qu'ils ne renforcent leurs positions, aidés par les décisions gouvernementales.

Qui veut gagner des millions ?

Cédric O compte sur ses deux autres « piliers » pour rassurer le secteur. Le premier (Cloud au centre) consiste à faire du recours au cloud un réflexe dans les administrations. Mais là aussi, beaucoup craignent de voir une bonne partie récupérée par les géants américains à travers les offres « souverainisées » par la mécanique des licences. Le dernier est une distribution de financements français et européens, qui restait à détailler.

C'est de cela dont il était question à la conférence organisée ce jour par Cédric O, depuis les bureaux parisiens d'OVHcloud, fraîchement introduit en bourse. Une annonce qui aurait pu se faire depuis chez Scaleway, qui dit avoir refusé. Mais des représentants de la filiale d'Iliad étaient bien présents pour écouter le secrétaire d'État. Même chose pour 3DS Outscale, qui a fait une sortie ce week-end critiquant le manque de neutralité du lieu.

Mais plus concrètement, qu'est-ce qui a été mis sur la table ?

« Le montant, c'est le KPI du Gouvernement »

1,8 milliard d'euros. C'est le chiffre qui sera sans doute martelé autour de cette annonce. Mais l'État français ne met « que » 667 millions d'euros sur la table pour soutenir la filière : 421 millions pour « développer des solutions innovantes de Cloud et Edge Computing », 150 millions pour « Créer des espaces de données mutualisées », 66 millions pour « soutenir la recherche, l’innovation, et la maturation de technologies » et 30 millions pour « former et reconvertir les ressources humaines ». 444 millions viendront de l'Europe, 680 millions du privé. Le tout sur 4 ans.

Dans ces différents projets, on retrouve une diversité d'acteurs, que vante le gouvernement : le CEA, le CNRS, Genci ou Inria du côté de la recherche, des jeunes entreprises comme Platform.sh (partenaire d'OVHcloud) et Qarnot, des acteurs plus installés comme Atos, Véolia ou même Schneider Electric. Même Gandi participe.

Nous reviendrons dans un prochain article sur ces projets plus en détail. Cédric O a pour sa part évoqué un plan « sans précédent » vis-à-vis de la fillière cloud, quand bien même cela ne représente peu face aux plateformes.

Soutien Cloud 3e Pilier

Cloud de confiance : la pilule ne passe toujours pas

Si on retrouve 3DS Outscale dans le volet visant à proposer « un nouveau catalogue de solutions PaaS et SaaS sur une infrastructure SecNumCloud », Scaleway est absent. L'entreprise nous a toujours confié ne pas chercher ce genre de financement, lui préférant des mécaniques où c'est à travers la commande publique pour la fourniture de services concrets que l'État soutien la filière, plutôt que des projets dont l'avenir n'est pas toujours assuré. 

Ce matin, la filiale d'Iliad prenait d'ailleurs la parole :

« Nous attendons tous avec relative impatience l’annonce du gouvernement concernant la stratégie d’accélération du cloud. Sans savoir ce que cette stratégie contient (au matin de l’annonce), il me paraît évident que si cette stratégie n’est pas une doctrine qui consiste à encourager avant toute chose l’usage d’un cloud dont le logiciel est de manière prédominante européen, alors je doute d’une sincère volonté de la part de nos politiques pour l’émergence d’une industrie du cloud européen ».

Pour certains acteurs interrogés ces derniers jours, cette distribution de millions doit servir de tour de passe-passe permettant au gouvernement d'afficher un certain volontarisme après des mois de critique. Et un fin analyste du sujet d'ajouter : « leur principal KPI [indicateur de performance, ndlr] c'est le montant ».

Le secteur semble désormais résigné face à l'attitude de Cédric O et des ministres et ne plus croire aux tentatives de rassurer qu'elles viennent de la DINUM ou de la DGE qui ont œuvré ces derniers mois en coulisses pour tenter de réparer les pots cassés. Même 3DS Outscale s'est empressé de réagir à l'annonce de l'évènement du jour chez OVHcloud pour critiquer le manque de neutralité de ce choix. Et d'ajouter dès ce matin un communiqué :

« 3DS OUTSCALE, filiale Cloud de Dassault Systèmes rappelle son engagement pour une indépendance numérique de la France en matière de cloud et réaffirme que des solutions sont déjà constituées pour mener à bien le projet de l'État. Créé il y a 10 ans dans le but de répondre aux enjeux de souveraineté des entreprises et administrations, 3DS OUTSCALE accompagne l'autonomie stratégique numérique de la France et de l'Europe en apportant un Cloud de Confiance opérationnel dès maintenant :

- Un cloud souverain, par la localisation et le traitement des données et des opérations en France, ainsi que par un cadre juridique français

- Un cloud répondant aux exigences de sécurité les plus élevées : qualifié SecNumCloud de l'ANSSI et certifié Hébergement de Données de Santé (HDS), le cloud de 3DS OUTSCALE est également porté par des services et une organisation intégralement certifiée sur la sécurité et le management de l'information dans le Cloud (ISO 27001-27017-27018),

- Un cloud respectant les valeurs et engagements européens (3DS OUTSCALE est membre fondateur de GAIA-X) : Sécurité, Transparence, interopérabilité, réversibilité et confiance

Dans le but d'apporter à la France et plus largement à l'Europe, un véritable écosystème d'acteurs technologiques de confiance autour du Cloud, 3DS OUTSCALE a bâti une marketplace visant à faire émerger des offres à forte valeur ajoutée et à proposer les meilleurs services Cloud clés en main proposés par des éditeurs de logiciels et plateformes partenaires disponibles sur ses Clouds souverains. »

Comme on pouvait s'y attendre, le ton est tout autre chez OVHcloud, qui était l'hôte du jour. Selon le communiqué de presse, son directeur général Michel Paulin voit dans cette stratégie d'accélération « une étape supplémentaire vers l’établissement d’une filière française de cloud robuste, capable de s’imposer durablement sur le marché européen et mondial. La France dispose de tous les atouts - talents, R&D, capacités d'investissements - pour développer des services cloud innovants, et performants qui garantissent non seulement la confiance et la protection des données, mais aussi la performance de solutions ». 

Il ajoute que « chez OVHcloud, ce cloud de confiance est déjà une réalité avec la disponibilité, depuis début septembre, d’offres cloud qualifiées SecNumCloud et la mobilisation, autour de nous, d’un écosystème d'acteurs proposant des services clés (solutions cyber-sécurité, studios d’Intelligence artificielle ou logiciels de gestion d'entreprise). Ce dispositif complémentaire est une marque de confiance notable des pouvoirs publics et le signe d’un soutien marqué à notre écosystème. Nous espérons que le fruit de ces projets rencontrera un succès à la hauteur de cet investissement, auprès des utilisateurs de cloud, publics comme privés ».

Pendant son discours, plus offensif, il a néanmoins rappelé que le cloud américain s'est notamment développé par une commande publique forte, un écosystème en plein développement et un soutien important des grands groupes. Et d'en appeler à une même attitude de la part de l'état et des grandes entreprises françaises.

Il a critiqué au passage ceux qui disent que la bataille du cloud est perdue, comme ont parfois pu l'esquisser des membres du gouvernement. Et souhaite qu'au niveau européen, les qualifications de sécurité prennent en compte la question des lois extraterritoriales, tout comme la mise en place d'une régulation pour s'assurer d'un marché équitable, où le client est libre du choix de ses services et d'en changer sans contrainte.

Pour Cédric O, qui était en parti visé et est intervenu peu après, désormais, cette bataille « n'est pas perdue, sinon je ne serais pas là ». Il vante au passage la réussite du gouvernement dans le domaine de la tech et du nombre de startups, de financements, « qui n'aurait pas eu lieu si nous avions mené une politique autarcique ».

Il ajoute que pour autant, cela ne sera pas facile et prendra du temps. Il a rappelé que l'objectif premier du gouvernement est avant tout de faire émerger des champions français et européens et a rappelé à plusieurs reprises que tout cela s'est fait dans la concertation de l'écosystème. Il nous a d'ailleurs été précisé que « l'État lance des travaux pour créer un dispositif d'accompagnement vers l'obtention du label » SecNumCloud.

Et ceux « sautent comme des cabris sur leurs chaises en criant souveraineté numérique, souveraineté numérique » ? Cédric O les renvoie aux responsables passés qui sont pour lui les responsables de la situation dont a hérité le gouvernement. Il fait ici notamment référence à la (douloureuse) période du cloud souverain de 2012.

Un peu de calinothérapie

Tout ce petit monde sera d'ailleurs rassuré de savoir que le gouvernement français a conscience de son existence. Le dossier de presse de ce troisième pilier est un exemple en matière de name-dropping

« Les acteurs majeurs du cloud sont américains ou chinois mais dans cette compétition la France dispose d’acteurs importants tels qu’OVHcloud, premier fournisseur de cloud IaaS européen, ou encore Orange, Scaleway ou 3DS Outscale et d’intégrateurs de premier rang, tels que Capgemini et Atos.

De nombreux entreprises ou acteurs français innovants de taille plus réduite, tels que Plateform.sh ou la start-up Scalingo, proposent des plateformes pour le développement ou la gestion d’applications cloud ou répondent à des besoins plus spécifiques (par exemple pour l’archivage sécurisé, le partage de données ou les coffres fort électroniques), comme Oodrive, Docaposte et Scality.

Nos entreprises, comme Linagora, sont particulièrement impliquées dans le développement de solutions libres pour le cloud computing même si elles souffrent souvent d’un manque de visibilité et de publicité. »

Dommage pour Gandi ou Ikoula, ils n'ont pas été cités. On notera d'ailleurs que Scalingo est mentionné alors que son patron indiquait ce week-end être « content d'apprendre par voie de presse que ce sujet avance... ».

Le document évoque aussi le logiciel libre, une filière qui a été très critique des choix du gouvernement qui cite parmi ses objectifs « la consolidation et la mise en avant des offres françaises innovantes, y compris provenant du logiciel libre ». Il évoque au passage « des aides aux acteurs français pour passer à l’échelle sur les technologies critiques très demandées, telles le big data ou le travail collaboratif, le développement de technologies de rupture à horizon 2025, telles que l’edge computing afin de positionner la filière européenne comme un futur champion ».

D'autres étapes à venir

Le dossier de presse précise que les 667 millions d'euros sont financés par le quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA) et France Relance, à hauteur de 533 millions d'euros sur 2021-2022 puis 134 millions pour 2023 et les années suivantes. Au total, une vingtaine de projets seront soutenus sur la période.

Soutien Cloud 3e Pilier

Le gouvernement se fixe trois objectifs : tout d'abord, que « les fournisseurs de services cloud français atteignent une assise technologique et commerciale suffisante pour être compétitifs sur les marchés clés actuels, et sont bien positionnés sur les marchés clés de demain (notamment edge computing) ».

Il souhaite aussi que « les grandes entreprises et administrations, ainsi que les entreprises stratégiques, utilisent des offres cloud de confiance pour leurs données sensibles ». Mais aussi que « l’économie française de la donnée se développe autour des espaces de données basés sur des offres cloud de confiance ». Dans ces deux cas, cela englobe donc les futures offres basées sur SecNumCloud, sous licence.

Quels autres indicateurs que les montants distribués ? Que le chiffre d'affaires de la filière française double d'ici à 2025, de voir au moins 5 nouvelles offres SecNumCloud émerger (dont les deux déjà annoncées avec Google et Microsoft), doubler le nombre d'entreprises utilisatrices du cloud de confiance (qui n'existait pas avant cette année). Mais aussi disposer de « 25 nouveaux espaces de données sectoriels » sans plus de détails.

D'autres annonces doivent d'ailleurs suivre, notamment sur « le segment des offres de travail collaboratives (SaaS), un appel à manifestation d’intérêt sera ouvert avant la fin 2021 ». Un nouvel appel à projets sera également ouvert dans le courant du premier trimestre 2022 « pour compléter le soutien aux projets de R&D, d’envergure européenne, ainsi que pour identifier de nouveaux projets disruptifs ».

Reste maintenant à voir si ces annonces suffiront à apaiser les différents acteurs. Il y a fort à parier que cela ne sera pas le cas vu les premiers retours que nous avons obtenus et la manière dont on continue de s'activer en coulisse pour tenter de trouver des solutions. Mais à moins de renier une partie de sa stratégie de cloud souverain à la sauce américaine, on peut s'attendre à ce que le gouvernement n'y parvienne pas. 

Ne lui reste plus qu'une chose à espérer : que cela ne devienne pas un enjeu d'importance pour 2022. 

Écrit par David Legrand

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Vers un cloud de confiance (ou pas)

Qui veut gagner des millions ?

« Le montant, c'est le KPI du Gouvernement »

Cloud de confiance : la pilule ne passe toujours pas

Un peu de calinothérapie

D'autres étapes à venir

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Commentaires (8)


“normalement cette enveloppe était destinée à la retraite des Français mais on fera sans…”
:8
Troll mis à part j’espère au moins que cela permettra d’avoir une réelle alternative au clouds US


ça me fait penser à “le coup de Trafalgar” que nous ont joué les Américains, tiens :



≠ sous-marins vendus à l’Australie (normalement)


L’état n’a aucun intérêt à prendre un prestataire externe pour son cloud, sinon payer le prix fort pour ses infras et voir ses données éparpillées façon puzzle alors qu’il a la taille critique pour faire ça lui-même et des prérequis légèrement différents de l’épicier du coin.
Je comprends que c’est un genre de subventionnement déguisé mais avec trop peu d’ambition pour vraiment changer la donne face aux US tout en s’assurant de rester dépendant d’eux, chapeau…



Et le premier acteur de la chaîne qui fera une transaction en dollars pourra admirer les résultats du cloud “souverain à partenariat US”…


Bonjour,
D’après mon niveau de connaissance, la soumission aux lois de renseignement américain liée au paiement en dollar peut être contourner par l’utilisation d’un prestataire chargé de faire la transaction en dollar (avec commission).


Bof, même par un jour de CA d’Apple, ou 3 jrs de bénéfices :D


Du côté du gouvernement, le choix était assumé : « Certains des services Cloud les plus performants au monde sont édités par des entreprises étrangères, notamment américaines.



Je me demande si ils confondent pas “performance” et “taille”…. ou bien si pour eux la taille est un témoin de la performance.
Performant selon qui ? Selon quoi ?
Est-ce que ne c’est pas plutôt parce que AWS c’est ne nouvel IBM , dans le sans où les responsables font ce choix non pas techniquement, mais plutôt pour avoir un parapluie quand nécessairement un jour la merde va toucher le ventilo ?


Je crois qu’en fait, ce qui les éblouit c’est la taille du CA. S’il est énorme c’est que c’est forcément bon et donc performant. Sauf que la performance financière n’a rien à voir avec tout le reste.


Heureusement que ce n’est pas 666 … :fumer:
667 Millions ce n’est malheureusement “pas grand chose” pour monter une infrastructure … et cela ne changera rien si toutes les administrations utilisent Windows et sont sur Office 365 en plus de notre cloud baguette :francais: